Homélie prononcée par le Père Maurice Bellot
Voila donc Jean, le disciple bien aimé et Marie, la mère du Seigneur, qui descendent de la
colline du Golgotha ensemble, tristes certainement, silencieux sans doute, la main dans la
main peut-être, ils rentrent chez eux, confiants l'un en l'autre, sur la parole de Jésus qu'ils
viennent d'entendre, qu'il leur a adressée juste avant de mourir. (Jn 19,26-27) Ils se reçoivent
l'un l'autre. "Suscipe me" dit Marie, "Reçois-moi", Jean le bien aimé, le préféré de mon
fils, dans ta maison. "Suscipe me" dit Jean, "Reçois-moi" Marie, maman de mon ami
Jésus. "Reçois-moi" dans ton cœur de mère, dans ton cœur de servante du Seigneur.
"Suscipe me Domine" "Reçois-moi Seigneur" va dire tout à l'heure Françoise, l'oblate du
jour. Elle ne va pas dire "Recevez-moi mes sœurs, dans votre abbaye", Françoise ne sera pas
moniale, sa maison n'est pas cette abbaye, mais elle sera oblate de ce monastère, elle est reçue
aujourd'hui dans la famille bénédictine, dans la trace des chercheurs de Dieu, dans la foule
innombrable de cette caravane de moines et de moniales qui ont choisi d'habiter la louange
du monde pour en sauver la laideur. Habiter la louange du monde à partir de cette Abbaye de
Limon, selon l'esprit de stabilité de St Benoit. On rayonne pour le monde entier, mais à partir
d'un lieu précis où la louange est assurée sept fois par jour.
Histoire d'amour de Françoise avec l'Abbaye de Limon : c'est une vieille histoire, elle date de
1986, soit il y a 26 ans, quand son père spirituel de l'époque l'a envoyé ici parce qu'elle voulait
faire une retraite. Elle a suivi sur une parole, elle ne savait pas où elle allait, un peu comme
Abraham, elle cherchait, elle avait besoin de rééquilibrer sa vie, elle cherchait autre chose que
la messe du dimanche, elle cherchait une vie communautaire, elle cherchait, comme elle dit, à
ne pas « saucissonner sa vie ».
Elle cherchait un équilibre entre la vie et le travail, ce qui est le désir pour chacun d'entre
nous : concilier une vie familiale, une vie professionnelle et une vie chrétienne.
Dieu frappait à sa porte. A l'époque, elle avait 49 ans, mariée, trois enfants, un travail
passionnant et puis le temps passe. Elle a gardé des liens avec ce monastère et quelques
20 ans plus tard, en 2001, au prieuré bénédictin du Mesnil Saint Loup, au cours d'une
session de rentrée de l'Equipe d'Animation Pastorale de Notre Dame de Pentecôte, dans
sa chambre, comme dans toutes les chambres sans doute, il y avait un petit panneau sur
lequel il était écrit : Pourquoi ne pas entrer dans la famille bénédictine et devenir oblate ?
Ce petit panneau était dans la chambre de tous ceux qui étaient à cette session. Une y a prêté
attention. Et commence alors pour Françoise dans la paix, cette fameuse paix bénédictine,
le cheminement de ce que l'on appelle une vocation. L'affichette disait "Pourquoi ne pas",
on passe ensuite souvent à : "Pourquoi pas?" Et la question, pas la plus terrible, mais la
plus personnelle : "Pourquoi moi?" Et pour finir : "Pourquoi pas moi?" Elle était marquée
en même temps par cette phrase entendue souvent dans les prières eucharistiques: "Je t'ai
choisie pour servir en ma présence!" Maintenant Françoise formule son état d'esprit, son
cheminement dans une phrase qu'elle m'a dite: "Etre au service du Seigneur dans la louange et
au service de mes frères dans l'action." Un équilibre entre la vie de prière et la vie de travail et
on retrouve le fameux "Ora et labora" monastique dont parlait le Père Gilson tout à l'heure.
Et j'arrive à ce qui nous rapproche du rituel d'Oblature : "Suscipe me Domine" "Reçois-moi
Seigneur" "secundum eloquium tuum" c'est du latin, mais c'est comme cela que cela va être
chanté : "selon ta parole" "et vivam" "et je vivrai". (Ps 118,116) Personnellement, il se trouve
que le 14 juin 1956 et le 14 juin 1959, je chantais ce même "Suscipe me" dans l'église de
l'abbaye de Saint Martin de Ligugé en grande allégresse. Ce Suscipe, c'est le cœur, le noyau
dur, comme on dirait maintenant, du rituel que nous allons vivre, que nous célébrons en
ce moment autour de Françoise et des moniales. Ce chant d'offrande avec la charte qu'elle
a écrite, la charte d'Oblature qui sera posée sur l'autel de l'offertoire avec le pain et le vin
de l'Eucharistie, avec le Ressuscité qui s'offre à ceux et à celles qui le désirent : "Suscipe
me" "Reçois-moi" "et vivam."
On ne peut pas oublier l’objectif : "et vivam". Tout ce cheminement, toute cette démarche,
tout ce rituel, c'est pour la vie, c'est pour vivre davantage, pour vivre plus. Cela rejoint tout
ce qui nous incite à la vie dans notre monde chrétien croyant, le Christ d'abord évidemment
qui nous souhaite la vie en abondance. Se référant à Moïse sans doute, (Dt 30,19), recevant
de Yahvé cette parole : "Je te propose la vie ou la mort, le bonheur et le malheur, choisis
donc la vie!" Et pour réactualiser cette parole, cette interpellation de St Benoit qui y va
très fort, quand il dit dans le Prologue de sa Règle : « Quel est l'homme qui veut la vie ?"
quand il s'adressait à ceux qui voulaient embrasser la vie monastique. "Quel est l'homme
qui veut la vie, qui désire voir des jours heureux ?" (RB Pr 15). C'est le sens profond de la vie
monastique et de l'Oblature. Avec ces grands témoins, on est en bonne compagnie, on est là
pour vivre plus, pour vivre mieux, comme le Christ. Avoir et donner un plus de vie comme
lui. Une force sortait de lui ! Et à la fin de cette fameuse prière d'Oblature qui, moi, m'avait
beaucoup marqué à l'époque, quand je la chantais quand j'étais plus jeune : "et non confundas
me ab expectatione mea" "et ne me déçois pas dans mon attente" : ce que j'appelle le doute
purificateur, le doute amoureux que connaissent bien tous ceux et toutes celles qui se mettent
entre les mains de l’autre, entre les mains de Dieu. Doute que connaissent tous ceux et toutes
celles qui s'engagent. Dans tout engagement, il y a cette parole et cette crainte terriblement
humaine : "Ne me déçois pas !" Surtout, Seigneur, ne me déçois pas, ne me fais pas cela.
Que je puisse rendre grâces toujours, quoiqu'il m'arrive !
Et je termine cette petite méditation par une phrase de Françoise elle-même, petite phrase
synthétique, lapidaire, dont elle a le secret, nous le savons : "J'ai beaucoup reçu, maintenant
reçois-moi !" " Suscipe me Domine"
Mot de remerciements de Françoise
Je voudrais d'abord vous dire combien je suis touchée de vous voir aussi nombreux
autour de moi pour nous réjouir ensemble à l'occasion de mon engagement sur ce
nouveau chemin de vie.
Je veux spécialement remercier le Père Gilson qui a bien voulu accepter de présider
cette Eucharistie que nous venons de vivre, Maurice Bellot qui m'a accompagnée
avec patience dans ma démarche, Michel Anglarès qui a quitté pour cette occasion
sa toute fraiche retraite, et avec qui pendant 9 ans, nous avons fait l’expérience si
riche de la coresponsabilité en Equipe d’Animation Pastorale, Bernard Audras avec
qui je travaille depuis si longtemps en profonde communion de pensée et enfin Jean
Leclerc, car, sans son accueil chaleureux et fraternel, ce jour de 1982 où j'ai poussé
la porte du Relais Jean XXIII, je ne serai sans doute pas ici aujourd'hui.
Un grand merci à celles qui sont maintenant vraiment mes sœurs, Mère Abbesse en
tout premier lieu, toute la Communauté et en particulier Sœur Marie-Claude qui m'a
accompagnée pendant 2 ans sur le parcours d'Oblature, Sœur Mireille qui a pris le
relais et dont l'accueil est toujours si attentionné dans les plus petits détails, Sœur
Raphaëlle qui participe à l'élaboration de tout ce qui nourrit notre groupe d'Oblature,
sans oublier Sœur Bénédicte qui, de la Maison du Père, doit partager notre joie.
Si nous vivons aujourd'hui ce moment, c'est aussi grâce à l'accueil fraternel qui m'a
été fait il y a trois ans lorsque j'ai demandé à rentrer dans le groupe d'Oblature de
Limon. J'y ai trouvé des frères et sœurs avec qui prier, partager la parole de Dieu,
être en confiance pour cheminer ensemble à la suite du Christ. Des frères et sœurs
à qui vous devez l’organisation de cette belle fête, ayant scrupuleusement obéi à la
consigne qui m’avait été donnée de ne rien faire ! Merci pour tout !
A vous tous, amis de Notre Dame de Pentecôte et d'autres horizons, - je vous dis un
grand merci pour tout ce que vous m'avez apporté de joies dans les relations amicales
et fraternelles que nous avons eues et dans le travail effectué ensemble au service de
la Mission vers ceux qui vivent dans le monde des affaires à La Défense. Je remercie
aussi les absents qui m'ont témoigné de diverses façons leur amitié et m'ont assuré de
leurs pensées et de leurs prières en ce jour.
Enfin je n'oublie pas Florence, ma fille, qui représente aujourd’hui ma famille plutôt
dispersée et depuis quelques années bien diminuée par un lourd tribut payé à la
maladie du siècle.
Merci encore et je nous souhaite une Bonne Année, en ce mois de septembre, mois
de recommencement des activités pour nous tous. Qu’elle soit riche en rencontres,
féconde et vécue dans la Paix et la Joie.